PRÉSENTATION DE L'ŒUVRE
Les années de jeunesse (1888-1897)
« À cinq ans déjà, je faisais une grande consommation de crayons que la bienveillance de ma famille laissait à ma disposition.
Je copiais des caricatures de journaux et tout particulièrement les charges politiques de la Lune et de L’Eclipse d’André Gill »
Note manuscrite de Raoul de Mathan.
Raoul de Mathan révèle très tôt un intérêt pour le dessin. Dès ses quatorze ans, il croque déjà sur le vif des portraits aboutis. Ses carnets démontrent une précocité qui incitera le Marquis de Chennevières à encourager cette vocation auprès des parents du jeune artiste. Grace à ce soutien, il décide à l’âge de 20 ans de s’installer à Paris, à Montmartre, où il suit les cours de Gustave Moreau aux Beaux-Arts. Durant cet apprentissage, il s’entraine au dessin académique en copiant les maîtres exposés au Louvre comme Holbein, Poussin, et Rembrandt.
Raoul de Mathan, Pêcheur dans son bateau, dessin au fusain et à pierre noire avec de légers rehauts de craie blanche sur papier, 1901, 51,3 x 32,7 cm, collection privée.
La période paysanne (1897-1905)
Une fois diplômé de l’école des Beaux-Arts de Paris, Raoul de Mathan débute une période qui sera dite « paysanne » durant laquelle il représente le travail des ouvriers agricoles qu’il observe lors de ses fréquents séjours dans la propriété familiale de La Capelle, près de Saint-Lô en Basse-Normandie. Sensible à la chorégraphie répétitive de leur labeur, il retranscrit dans sa peinture l’élégance des gestes simples du monde rural. Il est remarqué pour l’une de ses toiles, intitulée le Violoneux lors du Salon des Indépendants en 1905, où son travail remporte un succès d’estime des critiques influents du monde de l’art de l’époque.
« J’arrive aux vigoureux portraits de paysans, enlevés en pleine pâte par M. de Mathan ; encore un jeune d’avenir, laborieux et doué.
Son violoneux est de toute beauté ».
Raoul de Mathan, Le Repas de paysans (Basse Normandie), huile, 1902, dimensions non précisées, localisation inconnue.
Louis Vauxcelles, « Le Salon des Indépendants »,
Gil Blas, 23 mars 1905.
Cour d'assises (1906-1908)
À partir de 1906, Raoul de Mathan commence à assister à des procès au Palais de Justice de Paris qui vont lui inspirer de nombreuses séries de dessins qui traduisent toute la théâtralité des procès. Il capture sur le vif le tumulte des salles d’audience et parvient en quelques coups de crayons à retranscrire toute la complexité intérieure des personnages représentés. Ce synthétisme des formes se retrouve dans le traitement des autres sujets qu’il traite à cette période, notamment dans son Grand Nu de 1908, dont le motif sera repris vers 1909 sous le titre Femme à l’amphore dans une gouache rehaussée à la craie blanche.
« Raoul de Mathan a été impressionné par le relief sinistre des habitués de la cour d’assises, cambrioleurs cyniques, juges chafouins, il les a traduits avec une puissance et une liberté que son pinceau n’avait pas encore acquise ».
Louis Vauxcelles,
« Le Salon des Indépendants »,
Gil Blas, 23 mars 1905.
Raoul de Mathan, Le Juge Séré de Rivière (Au tribunal), huile sur toile, 1906, 89 x 116 cm, signé et date en bas à droite : « Raoul de Mathan 1906 », localisation inconnue.
Raoul de Mathan, La Cour d’Assises (Esquisse), encre de chine et rehauts de crayon jaune sur papier vergé, 48,4 x 62, 8 cm, vers 1906-1908, collection privée.
« M. de Mathan grandit son style et nous ne nous en plaindrons nullement, car ce n’est pas au détriment de la force expressive qu’il le fait. Bien au contraire, il nous semple qu’il ne fit jamais rien de plus poignant, de plus affiné,
de plus volontaire que sa Cour d’Assise
et que son Nu. »
Raoul de Mathan, Avocat en robe de dos (Esquisse), encre de Chine sur papier, vers 1906-1908, dimensions non précisées, collection privée.
Charles Malpel, Notes sur l’art d’aujourd’hui et peut-être de demain, Paris, Bernard Grasset éditeur, 1910, p.196.
Le cirque (1909)
Raoul de Mathan, Le Cirque (Esquisse), huile sur toile, vers 1909, 60 x 73 cm, non signé, collection privée.
Raoul de Mathan s’inscrit pleinement dans la tradition de la représentation circassienne après Degas, Seurat et Toulouse-Lautrec, et dans un traitement complètement différent de celui de ses contemporains comme Rouault qui aborde lui aussi ce sujet à la même époque. Déjà présente dans les esquisses de cour d’assises, on retrouve dans les cirques une forme d’assurance pour construire les scènes. Les perspectives sont maîtrisées, la composition est décentrée pour valoriser les silhouettes des différents rangs de spectateurs et les coloris audacieux renforcent le tumulte des mouvements pourtant figés sur la toile.
Voyages (1909-1911)
Un voyage en Grèce et en Crète en 1909 inspire à Raoul de Mathan le goût de peindre des paysages (le Parthénon exposé en 1911). Il poursuit cette étude dans le Midi, à Cassis notamment, quand il visite la région avec son ami le peintre Manguin.
« Quel admirable voyage à travers la Grèce et la Crête. Deux mille ans d’art et d’humanité :
la révélation naturelle. Après cela, je ne pouvais plus reprendre mes foules de cirque ou de correctionnelles ou d’assises, et avec des danseurs et un grand nu précubique ».
Raoul de Mathan, La Ruine (Provence), huile sur toile, 1912, 92 x 73 cm, signé en bas à droite, collection privée.
Raoul de Mathan, Le Rameur, gouache, 1909, 54,4 x 46 cm, ancienne collection Olivier Sainsère, collection privée.
Les années de guerre (1914-1918)
Durant les quatre années de conflit, Raoul de Mathan ne peint plus.
La seconde période paysanne (1919-1920)
Après son mariage avec Louise de Vigan, célébré le 30 mars 1919 au Havre, le couple s’installe à la campagne dans la propriété familiale héritée de son père, La Capelle. Le peintre réalise alors de nombreux paysages de la campagne normande des environs.
Raoul de Mathan, Portrait de Paysan (assis), huile sur toile, vers 1920, 46,5 x 39 cm, non signé, collection privée.
Raoul de Mathan, Paysan dans sa cave, huile sur toile, vers 1920, 81 x 65 cm, collection privée.
Scènes d’intérieur
Outre les paysages, Raoul de Mathan réalise de nombreux tableaux représentant sa vie quotidienne en mettant en scène son entourage : son épouse, ses deux filles Antoinette et Louise et ses neveux.
Raoul de Mathan, Nature morte, huile sur toile, 1928, 46 x 54,5 cm, signé et daté : R de Mathan 1928, collection privée.
Raoul de Mathan, Jeune femme au Livre (femme de l’artiste, Louise de Mathan), exécuté à La Capelle, huile sur toile, non datée, 81 x 65 cm, collection privée.
Paysages bretons (1927-1928)
Vers 1927-1928, il découvre la Bretagne où il renouvelle sa palette en jouant des transparences de l’aquarelle pour représenter les cieux changeants du littoral.
Les portraits
La thématique du portrait a été récurrente tout au long de la production du peintre, et ce dès ses débuts. À partir de 1934, il se concentre sur ce thème en s’y consacrant presqu’exclusivement. Les membres de sa famille et les autoportraits sont dès lors privilégiés. La toile restée inachevée, qu’il travaillait encore la veille de sa mort, était justement un autoportrait, dont le traitement à la touche puissante en fait une composition toujours aussi intrigante un siècle plus tard.
« J’ai surtout fait des portraits, la tête humaine seule m’intéresse maintenant et mon format s’est réduit à la toile de 8. (...) Je cherche [ écrivait-il ] à exprimer (...) les irrégularités de traits qui se balancent et s’équilibrent en des rythmes contrariés et se résolvent dans un ensemble d’une simplicité géométrique. Ah. On peut dire que le dessin est une géométrie mystérieuse et bien cachée ! Difficile à découvrir. La découvrir serait exprimer l’âme humaine »
Lettre manuscrite de Raoul de Mathan.
Raoul de Mathan, Portrait d’Antoinette, huile sur toile, vers 1928, 55 x 46 cm, collection privée.
Raoul de Mathan, Autoportrait, huile sur toile, 1938, 46 x 38 cm, collection privée.
Conclusion
« M. de Mathan a atteint, lui aussi une parfaite maîtrise dans son art. Il peint dans la clarté, avec une extrême fraîcheur et un raffinement des nuances même. La franchise de son exécution provient d’un métier très supérieur. On aurait tort de le croire préoccupé uniquement de la couleur ; il sait construire une toile, possède une volonté et ne laisse rien au hasard. Ses tableaux n’en possèdent pas moins l’apparence d’une grande spontanéité d’exécution, et cela est fort bien »
Raoul de Mathan, Déguisement ou Pierrot, huile sur toile, 1923, 65,2 x
54,3 cm, collection privée.
H.Woolet, « Galerie Maury. Exposition Hue de Mathan», Le Journal du Havre, 12 octobre 1928.
Le traitement particulier de Raoul de Mathan allie une forte construction de la composition, une utilisation subtile de la lumière et des coloris audacieux qui permettent de transmettre l’intensité du motif. Ce sont ces trois vecteurs qui définissent le mieux son œuvre dont chaque toile emploie cette même combinaison. Pour plusieurs tableaux, il existe tout un ensemble d’études préparatoires qui éclaire la richesse de son processus créatif. Souvent, il conçoit dès le premier croquis les proportions et la structure géométrique de la composition définitive qu’il reporte ensuite par une mise au carreau. Mais le style de Mathan ne saurait être cantonné à la seule définition du fauvisme. Son œuvre transcende l’héritage impressionniste dans les associations de couleurs pures et dans l’utilisation de la lumière. S’il se dissocie du symbolisme de Gustave Moreau, plusieurs influences légitimes sont identifiables dans sa peinture comme celles de Daumier, Millet, Van Gogh et plus particulièrement Cézanne. Raoul de Mathan est un peintre moderne, pleinement inscrit dans son temps, qui mérite une redécouverte à la hauteur de son talent.